Nuit d'été à Stockholm

C'était il y a dix ans. Une nuit d'été a Stockholm, cette superbe ville, pendant le Vatten Festival. Des concerts sur toutes les places, la foule dans les rues. Ambiance festive rare. L'été est court en Scandinavie, les gens en profitent au maximum. Elle m'avait dit qu'elle voulait maintenant me considérer comme un ami. A l'époque, j'aimais bien théatraliser mes émotions. Faire de grands gestes, exagérer la colère, jouer avec les symboles et avec les sentiments, et prononcer des paroles définitives. Je pensais que ça donnait plus d'impact à ce que je faisais. Je jouais le méditerranéen. Cette nuit-là, parce que je l'aimais encore et je voulais bien lui faire comprendre que je ne me contenterais pas de son amitié, je lui ai rendu le pendentif en argent, avec son prénom gravé dessus, qu'elle m'avait donné longtemps auparavant. Comme ça, brusquement, au milieu de la foule. J'avais bien calculé mon coup. Je lui ai dit qu'elle pouvait le reprendre, que je ne pouvais pas le garder puisqu'elle ne m'aimait plus. Je ne le pensais pas vraiment, mais je trouvais sans doute que c'était un geste puissant. J'avais du voir ça dans un film. On est parfois stupide quand on a trente ans, mais à vingt ans, c'est pire.

Elle s'est mise a pleurer.

Cette fille que j'aimais, fière, indépendante, cultivée, intelligente et superbe, comme savent l'être les suédoises, elle pleurait devant moi, à cause de moi, sans rien dire, et autour de nous les gens défilaient, heureux, riant et discutant bruyamment, allant d'un concert à un autre, des bouteilles de bière à la main. Je m'en veux encore. Enormément. Dix ans après.

Ce jour-là, j'ai appris quelque chose. Ca peut paraitre ridiculement naïf d'écrire ça, mais ces derniers temps, j'ai besoin de revenir un peu aux bases, au fondamental. Je me suis fait la promesse de ne plus jamais recommencer ce genre de geste égoïste et stupide, et j'espère que j'ai réussi à m'y tenir. Je ne veux pas faire partie de ceux qui font du mal gratuitement. Il y en a assez comme ça. On ne joue pas avec les gens. Depuis, j'absorbe tout et je réponds toujours calmement, sans artifice et sans colère. J'essaie de comprendre et de ne pas jouer avec les sentiments des autres. Je fais confiance aux mots prononcés, et je les respecte. Ne plus jamais être cruel, ne plus jamais faire de mal volontairement, ne plus prononcer des mots que je ne pense pas, ne plus laisser la colère obscurcir mon esprit. Et si je n'y arrive pas, je vais faire un tour dehors et je reviens quand je suis calme. Je reste convaincu que la colère ne fait au mieux qu'amplifier les problèmes, au pire en crée de nouveaux. Et fatalement, après la colère, il y a le silence, et il n'y a rien de plus dur à supporter que le silence. Et si le dialogue n'arrive pas à résoudre les problèmes, il facilite au moins l'après. Il diminue les frustrations. Il permet des transitions plus rapides et moins douloureuses. C'est important. Si le choix est dans mes mains, faire en sorte que les derniers mots prononcés ne soient pas des mots de colère. Et toujours laisser la porte ouverte.

J'ai découvert aussi, bien plus tard, que le fait d'être un type zen et à peu près honnête n'empêche pas de s'en prendre plein la gueule. De recevoir des phrases comme on recevrait des balles de fusil. Des mots qui peuvent percer des trous dans la peau. Qui peuvent crever les yeux. Ou, peut-être, les ouvrir.

J'aurais bien aimé l'avoir, ce pendentif, parfois. Les souvenirs, ça aide souvent pour reconstruire l'estime de soi, quand elle a explosé en vol et s'est éparpillée sur plusieurs continents. Parmi les personnes qui m'ont beaucoup aidé le jour où j'en ai eu vraiment besoin, plusieurs anciens amours, avec qui j'ai gardé contact, même si on ne s'écrit pas souvent. Devenues des amies ou des complices. Parmi elles, une certaine fille de Stockholm, qui m'a pardonné depuis. Merci à toi.





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