Processus d'extinction synaptique

Pendant quelque temps, les souvenirs se découpent avec une netteté minérale sur l'horizon plus ou moins flou de la mémoire générale. La douleur aigüe due a la séparation proche et au deuil de certains rêves aident a maintenir cette précision. Parce que l'on approche le vrai sens des deux mots "plus jamais", on fait un effort conscient pour se souvenir, comme si on serrait de toutes nos forces notre mémoire pour l'empêcher de s'éloigner. On peut se rappeler de détails extrêmement fins et presque impossibles a vraiment décrire avec des mots, de gestes anecdotiques hier encore, et qui soudainement prennent une charge émotionnelle énorme. Une manière de bouger ses doigts, un coin de bouche juste avant que le sourire n'apparaisse, une façon spéciale et curieuse de prononcer un mot particulier, les gestes avec lesquels elle laçait ses chaussures au matin, des phrases entières extraites de conversations à deux.

Avec le temps et la disparition physique des traces de l'autre, la mémoire s'émousse doucement. On égare des photos, on casse les verres achetés ensemble, on découvre seul des musiques nouvelles. On rencontre d'autres personnes, peut-être, un jour. L'oubli dépose sa chape nuageuse sur notre passé. Au détour d'une conversation, on se demande si tel ou tel voyage commun avait été fait en juin ou en septembre. Comment s'appelait ce livre qu'elle aimait tant. Le son de sa voix. Le cerveau humain est une belle machine biologique, l'érosion continuelle des souvenirs trop saillants est sans doute un simple mécanisme de survie. Les images s'estompent progressivement, les visages deviennent flous quand on essaie de s'en souvenir. Les quelques photos conservées sont trop figées, trop usées, trop regardées, ce ne sont plus des vraies personnes qu'elles représentent, mais des icônes, des statues qui ne signifient plus rien. Malgré nos efforts, des pans entiers de nos relations passées disparaissent. Jour apres jour. On n'y peut rien. Ces moments magiques qui semblaient si précieux, si inoubliables, se fractionnent lentement en minuscules fragments de plus en plus opaques. Comme de vulgaires morceaux de plastique qui se tordent et fondent dans l'oubli. De notre passé ne restent plus que de vagues fantômes imprécis.

Et un jour on se demande : "C'était quoi, son prénom, déjà ?".

Je déteste le mois de février.





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