Madrid et Stockholm (sur un air lyrique)
19 Juin 1996
Hymne à une ville latine

J'aime Madrid. Allez-y un samedi soir, vous n'en croirez pas vos yeux. Dans le métro, les wagons sont bondés de jeunes et parfois de moins jeunes, tout le monde converge vers le centre de la ville. Il y a des gens partout, qui s'interpellent d'un quai à l'autre. Quand vous sortez dans la rue, vous vous demandez ce que fait tout ce monde dehors. On boit son verre dans la rue, en discutant haut et fort avec n'importe qui. Cette ville fonctionne par quartiers. Chacun a sa particularité. Le soir, vous pouvez changer d'univers en faisant deux stations de métro. Ce qui m'a fasciné, ce sont les bars. Je n'ai jamais vu une ville avec autant de bars différents: populaire avec cette odeur lourde de friture d'huile d'olive et de cigare froid, post-moderne à peine éclairé par des néons criards, rock dans lequel on a tout juste la place de tenir debout, chic paré de dorures en bois, flamenco décoré d'azulejos bleus et blancs, et bien d'autres. Le bar, c'est l'endroit où on discute, on rencontre les amis, on décide, on drague, on règle ses comptes. C'est aussi là où vous finirez la nuit au petit matin, le nez dans un chocolat épais et fumant, quand les "gatos" (les "chats", le surnom des madrilènes) sont fatigués. Mais Madrid vit aussi la journée, plus lentement, à l'ombre des parcs du Retiro ou de la Casa de Campo, ou des arches rouges de la Plaza Mayor. Il n'y a pas de monument réellement superbe à Madrid, comme chez ses voisines, Tolède, Segovia ou El Escorial. C'est la ville dans sa totalité, c'est son ambiance qu'il faut savoir apprécier. En s'éloignant un peu du centre, les choses s'animent un peu plus. Les voitures tournent autour de la Puerta de Alcala encore lardée d'éclats de balles qui témoignent des combats de la Guerre Civile. Puis vous tombez sur la M-30, véritable autoroute dans la ville. J'aime Madrid aussi pour les paysages qui l'entourent, ces paysages secs et rudes, parfois minéraux, de la Castille, souvent dominés par l'impressionnante silhouette d'un chateau médiéval. Et puis la Sierra, la montagne des madrilènes, de laquelle on voit, la nuit, toutes les lumières de la capitale distante de plusieurs dizaines de kilomètres. Attention! Les nuits peuvent être glaciales. Je n'ai jamais eu aussi froid qu'à Madrid. Comme on dit là-bas: "Madrid, nueve meses de invierno, tres meses de infierno" ("neuf mois d'hiver, trois mois d'enfer"). Enfin, à Madrid, pas de fermeture d'esprit ou de nationalisme latent. Les habitants viennent de toute l'Espagne, apprennent à vivre les uns avec les autres. Ils sont ouverts et ça se voit.

Ode à une ville scandinave

J'aime Stockholm. Quand l'avion arrive, vous avez l'impression de vous poser en pleine forêt. Des immenses et reposantes étendues de conifères, c'est votre première vision de la Suède. Et puis le calme d'un aéroport silencieux. Quand vous vous promenez dans cette ville, vous n'êtes jamais très loin de l'eau. Imaginez une cité éclatée sur des centaines d'îles, mais sans l'atmosphère de marais croupis et de mort que dégage Venise. Au contraire, Stockholm respire la vie, surtout pendant l'été, si court qu'il faut en profiter. Vous pouvez croiser sur les ponts du centre ville des pêcheurs et des gens qui se baignent. J'ai souvent traversé Gamla Stan, la vieille ville, à pied, le long du quai, pour ressentir la légéreté de cette cité et l'omniprésence de l'eau. Et cette eau, ils la respectent vraiment. Les suédois ont compris depuis bien longtemps que la nature qui les entoure était un cadeau inestimable. Une conscience écologiste existe chez chacun d'eux, réelle, loin de tout calcul et de toute démagogie. Il n'y a pas que la nature qu'ils respectent. Les êtres humains aussi. Vous ne risquez pas de vous faire écraser par une voiture à Stockholm, les gens sont très prudents. J'ai été surpris parce que tous les conducteurs s'arrêtent quand un piéton fait mine de traverser. Ca peut paraître anecdotique, je trouve au contraire que c'est révélateur. Contrairement à ce qu'on pense parfois, les suédois savent s'amuser. Je me souviendrai toujours de cette immense course de petits canards en plastique pendant le Vatten Festival, le Festival de l'Eau. Le soir, dans les bars, l'ambiance est plus feutrée, plus calme. Mais pas toujours. A Stockholm, les gens boivent le week-end, après avoir acheté en masse tous types de boissons alcoolisées le vendredi après-midi, dans les magasins d'Etat. L'ambiance peut alors se réchauffer, et là, vous vous rendez compte que les suédois parlent presque tous couramment l'anglais ou une autre langue, et qu'ils peuvent sans aucun problème commencer une phrase dans leur langue et la finir dans une autre, marque d'un esprit ouvert. Le lendemain, même si vous êtes fatigué, n'hésitez pas une minute à vous lever tôt pour aller passer la journée sur une des îles aux alentours. Quand vous reviendrez, mettez-vous à l'extérieur du bateau, à la proue, vous aurez le plus beau spectacle que vous puissiez imaginer: d'abord le slalom entre les petits îlots déserts de l'archipel, et puis la vieille ville, magnifique, qui se rapproche doucement sous le soleil rasant et doré du soir.




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