L'XXXX m'a tuer

L'histoire est simple. Je ne la raconte pas par bête désir de vengeance personnelle. Simplement, c'est une goutte de plus dans le raz-de-marée conformiste et normalisateur qui déferle en ce moment sur le web. Et cette goutte-là, je l'ai prise dans l'oeil.

GENÈSE

Depuis un an, je faisais tourner un serveur web sur un ordinateur de mon labo (dépendant de l'XXXX). Un peu par défi au début, pour voir si j'étais capable de mettre en route et de gérer un logiciel de ce type. Et puis il a bien fallu mettre quelquechose dedans, alors j'ai commencé à développer des pages, assez classiques au départ. Quand j'ai eu les premières réactions de gens qui se connectaient, je me suis vraiment pris au jeu. Le côté créatif, la possibilité de publier directement et facilement ses idées, les discussions qui en ont découlé, la découverte d'un univers parallèle encore expérimental et bouillonant dans lequel la rhétorique et l'argumentation sont les armes principales, tout ça m'a réellement fasciné. Dans ce monde communautaire et immatériel, le fait que mon serveur soit basé sur un ordinateur de l'XXXX me paraissait un détail.

PERSÉCUTION

Dès que j'ai su qu'il était très facile de monter un serveur web, j'ai proposé aux informaticiens du centre de créér un site dédié aux activités de recherche du laboratoire, avec en parallèle des pages personnelles pour les chercheurs qui voudraient en développer. On m'a répondu que si je formulais une demande officielle à la direction de l'XXXX, je n'avais aucune chance car ces messieurs de Paris préparaient une base de donnée accessible par le web qui recenserait tous les labos de l'XXXX. Il y aurait donc doublet, et mon projet ne recevrait jamais d'autorisation officielle. Le résultat est là: une base de donnée froide et embryonnaire qui expédie le thème de recherche d'une équipe en une petite phrase. En plus, ce document n'est accessible qu'en interne. Joli exemple d'universalité de l'information. Rien à voir avec ce qu'auraient pu faire des gens motivés par la présentation de leur labo et de leur travail à l'extérieur. Ce premier contact avec les informaticiens de l'XXXX a sévèrement refroidi ma motivation. Après cet épisode, il était clair que l'Institut de me laisserait rien faire d'officiel. J'ai donc choisi de monter un serveur web clandestin au sein de l'XXXX, en étant parfaitement conscient des risques pris. Mais à l'époque, la politique "internet" de l'Institut me paraissait assez floue, suffisamment en tous cas pour me permettre de développer tranquillement un serveur pirate. Et puis, au début de cette année, les choses ont changées. De floue, l'attitude de l'XXXX est devenue sévère, très sévère. Une note de service interne est passée qui expliquait les modalités de création d'un serveur sur une machine XXXX: dossier solide, pas de pages personnelles, passage devant une commission, et même chose en cas de modification du contenu. Ces technocrates parisiens se doutent-ils que pour maintenir un serveur vivant et à jour, il faut constamment le modifier? C'est à partir de ce moment que j'ai compris que j'étais cuit, qu'ils allaient avoir ma peau, malgré les subtiles et perverses modifications que j'ai pu apporter pour rendre mon site furtif pour les gens de l'XXXX (interdiction d'accès aux machines .XXXX.fr, changement de tous les mots-clés XXXX que j'avais naïvement laissé trainer et qui étaient référencés dans tous les moteurs de recherche, etc... J'ai tout essayé pour ralentir ma perte). Et puis dans mon fichier de connexions j'ai commencé à voir des machines de la Direction Informatique de l'XXXX Paris, et là j'ai compris que c'était vraiment fini.

APOCALYPSE

Quelques jours après, le 22 Mai exactement, on m'a signifié, même pas de manière directe (on ne discute pas avec un petit thésard de merde), que je devais tout arrêter, ce que j'ai fait. Aucune explication possible, aucune reconnaissance de l'expérience valable que j'avais pu acquérir en montant ce serveur. Rien. Juste une décision qui tombe comme un couperet, et qui laisse un goût de poussière dans la bouche, même si on y est préparé.

AU-DELÀ

Quelles réflexions tout cela m'inspire aujourd'hui? Diverses choses.

D'abord, il faut relativiser cette mésaventure: se retrouver virtuellement SDF n'est rien. Il y a des gens qui se retrouvent réellement à la rue, et c'est un problème bien plus grave que mes petites histoires.

Je pense sincèrement que l'XXXX a une politique rétrograde à propos de l'Internet. A l'heure où la majorité des universités et des écoles laissent aux étudiants le soin de gérer eux-mêmes un site web non-officiel parallèle (idée que je trouve excellente), l'XXXX verrouille ses serveurs et censure toute expression personnelle de ses membres (mon cas n'est pas isolé).

Ca m'a appris aussi que le cyber-espace ressemble beaucoup à la vie réelle. Il y a des salauds qui vous dénoncent parce que vos idées ne leur plaisent pas, mais il existe aussi une solidarité qui m'a surpris, moi le misanthrope. J'ai retrouvé un hébergement de mes pages 24h après l'interdiction de l'XXXX, et j'avais même plusieurs propositions. La minorité (qui était une majorité il y a peu) des fouteurs de merde, de ceux qui refusent un web envahi par le fric, lisse et propre comme une vitrine de McDonald, de ceux qui voient dans ce média une possibilité de faire réfléchir les gens et pas de les abrutir, cette minorité se serre les coudes aujourd'hui.





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